Frères et soeurs,
je reviens, en ce début de carême, sur quelques considérations concernant le jeûne. En particulier sur son importance, bien sûr pour cette vie qui passe, mais également et surtout pour celle qui demeure éternellement....En ce sens qu'il est particulièrement important de s'habituer au jeûne car dans la mort nous devrons jeûner.
En effet, les habitudes charnelles que nous avons prises durant cette vie, celles devenues passionnelles, c'est à dire celles dont nous avons du mal à nous passer, éventuellement auxquelles nous sommes devenus addicts, par exemple la consommation excessive de nourriture, de vin, de tabac, de toutes sortes de drogues, de sexe etc...à laquelle nous avons soumis et habitué notre corps, voir l'avons rendu dépendant, ces habitudes devenues des maux, des passions, ne disparaîtront pas avec notre corps, enfouies dans la terre, ce qui serait peut-être bien pratique.
Mais non ! Je vous renvoie à notre catéchèse de 2011 (1), sur l'anthropologie chrétienne, et en particulier sur les enseignements de notre père Saint Irénée de Lyon (2). Saint Irénée insiste sur le lien intrinsèque qui unit l'âme et le corps, conformément et dans le prolongement de l'anthropologie biblique :
"Car, par les Mains du Père, c'est à dire par le Fils et l'Esprit, c'est l'homme, et non une partie de l'homme, qui devient à l'image et à la ressemblance de Dieu. Or l'âme et l'Esprit peuvent être une partie de l'homme, mais nullement l'homme: l'homme parfait, c'est le mélange et l'union de l'âme qui a reçu l'Esprit du Père et qui a été mélangée à la chair modelée selon l'image de Dieu"
"Car la chair modelée, à elle seule, n'est pas l'homme parfait: elle n'est que le corps de l'homme, donc une partie de l'homme. L'âme, à elle seule, n'est pas davantage l'homme: elle n'est que l'âme de l'homme, donc une partie de l'homme. L'Esprit non plus n'est pas
l'homme: on lui donne le nom d'Esprit, non celui d'homme. C'est le mélange et l'union de toutes ces choses qui constituent l'homme parfait (3). Enseignement repris par les saints Pères auteurs de grandes synthèses comme Saint Jean Damascène au VIIème siècle :
"Ce n'est pas l'âme seule, ni le corps seul qui sont appelés hypostase (humaine), mais ils sont appelés en-hypostasiés; car c'est seulement ce qui est formé d'eux deux qui est l'hypostase des deux" ou Saint Grégoire Palamas au XIVème siècle : "Nous ne pouvons appeler l'homme ni l'âme seule, ni le corps seul, mais les deux ensemble; car l'Ecriture dit que Dieu a créé précisément un tel homme."
Et donc, il ne faudrait pas penser que cette unité disparaît avec la mort, l'âme subsistant et le corps disparaissant, détruit. Le corps, conformément au commandement du Dieu créateur retourne à la terre dont il a été tiré, conséquence du mal que l'homme a fait entrer dans la création, mais il n'est pas anéanti, rien de ce qui est crée ne peut être anéanti, tout subsiste sous une forme ou une autre. Le corps change d'apparence mais subsiste sous une forme non visible mais nécessairement ressuscitable. L'unité entre l'âme et le corps subsiste malgré la séparation. La conséquence c'est que ce
dont s'est nourrit l'âme par le corps et où elle a trouvé plaisir déraisonnable, délectation déviante n'est pas sans conséquence lorsque ce canal ne transmet plus. L'âme garde la mémoire de ce qu'elle a reçu par le corps, ce dont elle s'est nourri par son intermédiaire.
Le corps n'est pas le grand coupable, il n'est pas mauvais (comme l'ont prétendu des philosophies non christianisées et certaines théologies), c'est bien l'âme et ses puissances qui orientent les désirs et les choix de l'homme. Je cite de nouveau Saint Grégoire Palamas (4) :
« Notre âme est une essence pourvue de puissances multiples, elle a pour organe le corps qu'elle anime »
« Ceux qui s'attachent aux plaisirs sensibles de la corruption épuisent dans la chair toute la puissance de désir de leur âme et deviennent ainsi tout chair. L'Esprit ne saurait demeurer en eux. Au contraire, ceux qui ont élevé leur esprit à Dieu, établi leur âme dans l'amour de Dieu; leur chair transformée partage l'essor de l'esprit et se joint à lui dans la communion divine. Elle devient, elle aussi, le domaine et la maison de Dieu, elle n'abrite plus l'inimitié divine ne
désire plus contre l'esprit. »
Mais Saint Isaac le Syrien écrivait déjà au VII ème siècle :
« Quand il se sert des sens, le coeur perd les délices qui se trouvent en Dieu. Comme on l'a dit, nos pensées, intérieures, quand elles perçoivent une réalité sensible, sont liées aux organes des sens dont elles se servent . » (5) Je prend un exemple concret : un homme addict au tabac, à l'alcool, au sexe ou à toute autre sorte de drogue, quelle est la partie de son être responsable et atteinte ? Le corps ? Non bien sûr, mais son être tout entier, corps et âme: le plaisir passionnel, et par conséquent l'addiction concerne les deux. Lorsque cet homme meurt, son corps disparaît temporairement, ne transmet plus les sensations et les émotions (provoquées par les
produits consommés) à l'âme, et celle-ci, qui subsiste est dans une forme de souffrance car elle ne jouit plus des biens auxquels elle s'est attachée. Cet attachement l'empêche alors de s'élever vers Dieu, elle est comme alourdit. C'est probablement la conscience de
cette réalité qui est à l'origine de la fausse idée d'un Purgatoire par l’église catholique-romaine (sur ce quoi elle est largement revenue dernièrement), et plus justement dans notre théologie orthodoxe, des Quarante jours qui suivent la mort, ainsi que de l'existence des tellonies ou « péages aériens ». Toujours est-il que l'homme qui s'habitue au jeûne durant cette vie, c'est à dire qui choisit un chemin de liberté ou de libération, de guérison, de purification, aura moins de difficulté dans la mort. Il aura également éduqué et fortifié sa volonté et son âme aura plus de facilité pour s'élever vers Dieu. Ceci exprimé, nous devons être conscient que le jeûne ne peut se réduire à ce qui est physique, matériel comme les passions citées plus haut mais également qu'il concerne des passions comme l'orgueil et ses nombreux fruits d'égoïsme, l'esprit de domination, de possession, la redoutable langue (cf Jc), les plaisirs du regard (« qui ne viennent pas de Dieu », cf Jn), les pensées etc...Bref, nous avons du travail ! Mais un travail qui peut rapporter beaucoup et qui est le sens même de notre vie, son but ultime. Alors rendons grâce à Dieu pour le Grand carême que nous offre à vivre notre sainte Église orthodoxe ...Et vivons le avec « Philotimo » !
(1) cette catéchèse sur l'anthropologie chrétienne a recouvert toute l'année ecclésiale
2010 -2011
(2) Saint Irénée nous est très cher, à nous, chrétiens orthodoxes de France, car il fut évêque de Lyon au II ème siècle. Toutefois il n'était pas gaulois mais originaire d'Asie mineure. Il fut disciple du grand martyr Saint Polycarpe, lui-même disciple de Saint Jean le Théologien, ce qui rend sa riche théologie particulièrement précieuse, du fait de cette proximité avec la transmission apostolique.
(3) citations de l'œuvre majeure de Saint Irénée « Contre les hérésies. Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur », livre V, 6-1 .
(4) Apologie des saints hésychastes
(5) Discours, 1,11
Je vous souhaite un saint et fructueux carême, pardonnez-moi et priez pour moi, votre prêtre Philippe. (Grand carême 2014).
Père Philippe Calès
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